La Cour d’Appel du 2ème circuit de New York a convoqué une audience pour le 18 septembre prochain concernant la requête faite par l’Argentine et la Citibank à propos d’une ordonnance précisant le jugement de Thomas Griesa dans le règlement des sommes dues aux détenteurs de titres de dette argentine restructurée. Après avoir bloqué tout paiement, le juge Griesa avait autorisé le 28 juillet dernier (Voir : El Correo) une partie du paiement des titres -ceux émis sous législation argentine- mais « pour une seule fois » seulement (à savoir l’échéance du 30 juin), ce qui empêcherait le paiement prévu au 30 septembre de 189 millions de dollars.
L’avocat de la Citibank, Karen Wagner, a prévenu que si l’ordonnance du 28 juillet n’était pas revue, « la Citibank et la Citibank Argentina seraient sujets à un risque de sanctions graves » selon son mémo à la Cour d’Appel remis le 5 aout dernier.
De façon concomitante des détenteurs de titres en Euros de dette restructurée font eux aussi appel devant la justice étasunienne de la décision du juge Griesa qui les empêche de toucher leur dû, en maintenant bloqués les fonds versés (539 millions de dollars) par l’Argentine sur les comptes de la Bank of New-York Mellon (BoNY) depuis le 30 juin ; leur attaque porte sur le fait que la décision du juge Griesa excède sa juridiction, sachant que « BoNY n’a jamais signalé à aucune autorité qu’il octroyait à ce tribunal de pouvoir a priori exonérer BoNY de sa responsabilité de plaintes qui n’ont pas encore été déposées à son encontre et qui ne sont pas régies par les lois étasuniennes » ; de plus ces flux ne transitent pas par les Etats-Unis. En effet, par deux fois BoNY a demandé au juge Griesa de l’autoriser à verser cet argent , ce qu’il a refusé, confirmant de plus la non responsabilité de la banque devant de futures plaintes légales.
La déstabilisation en ligne de mire
Plus les jours passent, plus il devient flagrant que non seulement les fonds vautours ne souhaitent pas vraiment trouver un accord, mais surtout plus cette affaire a des visées plus grandes de déstabilisation de l’Argentine, en faisant échoué la restructuration de sa dette souveraine menée à bien jusque là.
Une déstabilisation en interne, relayée par la presse d’opposition, alimentant la peur du chaos, de prochaines fermetures d’entreprises en série, de conflits salariaux... A titre d’exemple on peut citer la curieuse faillite brutale de la société Donnelley ; cette entreprise a mis la clef sous la porte du jour au lendemain laissant 400 salariés devant le portail fermé, or elle a un actif net positif de 40 millions de pesos. Mais qui se trouve derrière cette entreprise étasunienne ? Curieusement, son actionnariat on compte plusieurs associés de Elliot Management que dirige Paul Singer –l’homme des fonds vautours en litige avec l’Argentine- dont un des fonds a cédé à Black Rock toutes ses positions en Argentine depuis le début des hostilités. Cette faillite express avec un actif positif fait l’objet d’une plainte pour faillite frauduleuse au pénal par l’AFIP (le fisc argentin), et d’une demande d’enquête auprès de la SEC, le gendarme de la bourse étasunien, sur les motifs de la fermeture en Argentine de cette entreprise et la déclaration d’une perte qui n’apparaît pas dans les comptes.
A cela s’ajoute donc à l’affaire des CDS où les fonds de Paul Singer sont juges et parties. L’ISDA a finalement qualifié la situation de l’Argentine d’« événement de crédit » mais pas de « défaut » (Voir :El Correo), mais cela n’empêchera pas de faire jouer la couverture de risque - les CDS sur la dette dans des modalités qui pourraient être fixées jeudi 21 aout. Reste que les fonds vautours sont détenteurs de titres de dette, donc en position de provoquer un incident de crédit et d’en tirer profit puisque membres du comité de l’ISDA, d’où l’enquête demandée par l’Argentine auprès de la SEC étasunienne (Voir :El Correo).
Bataille autour de la souveraineté
La confrontation devient donc interne et externe, mais dépasse le cadre du litige privé, pour entrer sur le terrain entre Etats. Il est patent que juridiquement le gouvernement des Etats-Unis d’Amerique avait les moyens d’inverser le cours des choses en mettant le holà à l’application du jugement du juge newyorkais Griesa, en arguant que ce dernier était contre les intérêts des Etats-Unis. Il y a eu des précédents sous Reagan avec le Congo Brazzaville et le même Paul Singer.
Il ne l’a pas fait ne voulant pas l’affrontement avec les Républicains sur ce sujet, dont Paul Singer est un grand soutien et argentier. Reste donc à voir ce qu’il ressortira de la plainte auprès de la Cour de la Haye de l’Argentine, accusant les Etats-Unis de violer sa souveraineté et son immunité judiciaire.
La Cour a toutefois prévenu qu’aucune suite ne serait donnée tant que Washington n’aurait pas admis la compétence du tribunal dans cette affaire. Il n’y a toujours pas de réponse officielle. On joue la montre, en décembre la clause de RUFO (Rights Upon Future Offers) sera caduque, et l’Argentine aura davantage les coudées franches.
Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo